C'est quoi, une photo réussie ?
C’est un ensemble de petites choses …
Il n’y a pas de recette pour réaliser une bonne photo mais il y a des ingrédients. Il n’y a pas de règles à suivre mais il y a des étapes.
La création artistique comporte, plus précisément, trois étapes :
AVANT LE SHOOTING (1ère étape)
C’est l’étape la plus importante, celle qui est parfois négligée.
Elle comprend les ingrédients suivants :
1° Le matériel.
Ce n’est pas l’appareil qui fait la photo, c’est le photographe. Mais sans appareil, le photographe n’est qu’un spectateur.
Il est clair qu’il sera plus facile de réussir une photo avec un appareil professionnel haut de gamme que si on la prend avec son smartphone, même si l’on peut malgré tout réaliser aujourd’hui de très belles photos avec ce genre d’appareil.
Il est évident qu’il sera plus aisé de réussir sa photo si l’on utiise un objectif de qualité, très lumineux, que si l'on se contente d’un objectif chinois qui ouvre au maximum à f/8 (je caricature).
En studio, il y a beaucoup plus de chances de réaliser quelque chose de bien avec des flashs et accessoires (parapluie, softbox, bol beauté, etc.) que si l’on se borne à utiliser le flash intégré à son appareil photo.
2° La maîtrise du matériel.
C’est bien d’avoir un appareil haut de gamme et des tas d’objectifs et autres accessoires, mais encore faudra-t-il être capable de s’en servir pour pouvoir profiter de toutes leurs fonctionnalités.
3° La maîtrise de la technique.
On peut connaitre par coeur le mode d’emploi de son appareil photo, ce n’est pas pour autant que l’on va sortir une bonne photo.
Une bonne photo, c’est nécessairement une photo techniquement maîtrisée. Une photo sous ou sur-exposée, c’est rarement une photo réussie …
4° L’idée.
Il est toujours possible de faire de la photo pour le plaisir de faire de la photo. Avec un peu de chance, le photographe parviendra à réaliser de jolies choses, même s’il n’a aucune idée au départ. L’instinct peut parfois être porteur de créavité, mais c’est plus rare. Le fruit du hasard … qui ne fait pas toujours bien les choses.
Il est tout de même préférable de partir d’une idée plutôt que d’une feuille blanche. Qu’est-ce que j’ai envie de réaliser ? Quel est le thème de la photo ? Il s’agit pour le photographe de visualiser sa photo avant même qu’il ne l’ait prise. Il faut une inspiration, quitte à s’écarter ensuite de la source pour parvenir à créer d’autres choses inattendues à partir de celle-ci. On peut, parfois, avoir de bonnes surprises.
Il n’est pas indispensable que l’idée soit originale. Une belle photo, c’est parfois une photo toute simple. Mais si l’idée est originale, surprenante, le photographe, s’il a un certain savoir-faire, peut passer de l’ordinaire à l’extraordinaire. Ceci étant dit, il faut aussi rester humble : il y a eu des milliers de photographes depuis plus de 150 ans. Croire que chaque photo sera une nouvelle création originale, que l’on ne va réussir à faire que du « jamais vu », c’est un leurre, même si l’imagination humaine n’a pas de limites. Une belle photo, cela peut être une photo réussie, même si elle n’est pas original. L’originalité, c’est un plus mais elle n’est pas indispensable.
5° La créativité.
C’est bien d’avoir une (bonne) idée. Il faut à présent la mettre en oeuvre, créer son décor, l’imaginer, le concevoir, le fabriquer. Mettre en pratique ce que l’on a dans la tête. Il faut « savoir faire ».
6° Le talent et le savoir-faire du photographe.
C’est ce qui fait la différence. Il y a des photographes professionnels qui font de la photo depuis 50 ans mais qui sont quelconques, voire même médiocres. Il y a des photographes amateurs qui, dès leur premier shooting, réalisent des choses incroyables. Le talent, on l’a ou on ne l’a pas, c’est quelque chose d’indéfinissable. Et, plus un photographe talentueux a de l’expérience, plus il aura appris de ses erreurs, meilleur il sera. Il sait ce qui fonctionne et ce qui ne fonctionne pas. Il a réussi, au fil du temps, à avoir sa patte, sa spécificité, son Monde. Il sait ce qu’il veut et ce qu’il peut.
7° Le talent et le savoir-faire du modèle.
Ce qui vaut pour le photographe vaut pour le modèle. Il sera plus facile de réussir une photo avec un modéle expérimenté qui a développé au fil du temps une panoplie de poses variées et qui a de l’expression que si le photographe demande à sa voisine pas douée de poser nue pour lui pour la toute première fois de sa vie.
PENDANT LE SHOOTING (2ème étape)
8° La composition.
C’est bon. L’idée est présente. Elle est mise en oeuvre. Tout est en place. Il n’y a plus qu’à faire la photo. Oui mais non. Pas si vite. Il va falloir la composer, cette photo. C’est souvent ici que le bât blesse. Je connais des tas de photographes qui maîtrisent très bien la technique, parfois bien mieux que moi, mais qui, au final, ne font que peu de bonnes photos parce qu’ils sont tellement concentrés sur cette technique qu’ils en oublient l’essentiel : la création artistique, la composition, la place de l'imagination. Techniquement, la photo sera réussie. Artistiquement, par contre … Il manquera quelque chose parce que le photographe ne s’est pas placé au « bon » endroit, parce qu’il ne s’est pas mis à la bonne hauteur, parce qu’il a coupé trois doigts au modèle, parce que le sujet ne respire pas (pas assez d’espace autour de celui-ci), parce que le modèle n’a pas été placé là où il aurait été préférable qu’il se place, parce qu’il y a un détail qui détourne l’oeil de l’essentiel dans la scène, etc.
9° Les réglages.
On revient à la technique. Il faut exposer correctement et, exposer correctement, ce n’est pas suivre aveuglément des règles qui limitent notre liberté mais bien exposer pour obtenir ce que l’on veut obtenir. C’est aussi et surtout une question de choix, de placement de la lumière.
Les puristes utiliseront un posemètre, un flashmètre. Certains iront même jusqu’à dire que, sans cet appareil, il n’est pas possible de réussir une photo. Je ne suis pas un puriste. Moi, le seul appareil que j’utilise, c’est le pifomètre. Je n’ai pas envie de perdre 35 minutes à mesurer la lumière avant chaque photo. Cela m’ennuie. Je suis là pour faire des photos, pas pour analyser le théorème de Pythagore. Je n’ai pas besoin d’un premier assistant, un second assistant et un éclairagiste à qui je demanderai de déplacer telle source de lumière de 3,2 mm à droite pour le plaisir de devoir remesurer ensuite la lumière pendant 42 minutes. Moi, je préfère travailler à l’instinct. Faire des essais. Varier les plaisirs. Parfois, ça fonctionne. Parfois, cela ne fonctionne pas. Ce n’est pas grave, je vais essayer autre chose. Mais je ne vais assurément pas perdre mon temps à mesurer pour sortir 3 photos en 3h00. C’est ennuyeux pour le photographe que je suis. C’est ennuyeux aussi pour le(s) modèle(s). Pendant que toi, tu mesures, moi, je fais des photos. Et en 3h00, j’en aurai fait peut-être 1000. J’ai la faiblesse de croire que, sur ces 1000 photos, il y en aura tout de même quelques-unes qui seront réussies, sans doute plus que toi qui n’en aura réalisé que 3 et peut-être même qu’elles seront plus réussîes que les tiennes parce que j’aurai fait 82 essais différents et que, au fil du shooting, la composition aura évolué. Elles seront, en tout état de cause, infiniment plus variées. Et puis, surtout, moi, je me serai amusé. Le modèle aussi, il n’aura pas fait la sieste pendant tes réglages.
Attention : ne me faites pas dire ce que je ne pense pas. Il n’y a pas de bonne ou de mauvaise façon de travailler. Beaucoup de photographes ont lu les bouquins de Nath Sakura. Certains suivent aveuglément ses conseils. Je ne la connais pas. Je n’ai jamais participé à ses formations. Je ne peux pas en parler en connaissance de cause. J’ai, bien sûr, beaucoup de respect pour cette personne, une certaine admiration pour l’étendue de ses compétences. J’ai lu, moi aussi, ses livres. J’ai appris des choses. Mais je me suis aussi ennuyé, en lisant certaines pages. Il m’est même arrivé de devoir relire plusieurs fois certaines passages pour comprendre tant bien que mal. Non seulement je ne suis pas sûr d’avoir tout compris mais je suis sûr d’avoir oublié plein de choses après les avoir lues. Nath Sakura est infiniment plus compétente que moi sur le plan technique. Elle réalise de très belles photos, des photos réussies. Mais je n’ai pas envie, personnellement, de travailler de cette façon. Trop de technique, cela tue parfois - je dis bien parfois - l’artiste. Je reconnais cependant bien volontiers que sa maîtrise de la technique est bien plus importante que la mienne et que cela lui ouvre certainement le champ des possibiles. Donc, si vous, cela vous convient, surtout, n’hésitez pas à suivre ses conseils. Moi, je préfère m’amuser un peu plus à commettre plein d’erreurs. Je préfère faire plein de photos.
10° La direction du modèle.
C’est bien d’avoir une jolie modèle à sa disposition, a fortiori si elle est talentueuse et expérimentée (voir plus haut). Il reste à présent à la diriger, à lui faire comprendre ce que l’on attend d’elle … mais en ne l’enfermant pas dans sa vision étriquée des choses. Je dirige mes modèles mais j’évite la dictature, je préfère lui laisser un minimum de liberté, la laisser s’exprimer comme elle l’entend, lui laisser aussi sa part de créativité. Si l’on dirige un peu trop un modèle (baisse ton coude de 1,4 mm à gauche), on perd la spontanéité, le naturel du modèle et on lui impose un truc figé qui ne lui correspond pas. Cela va se ressentir sur la photo, outre le fait que le modèle ne sera pas à l’aise et qu’elle finira par s’ennuyer autant que moi si je passe 2h35 à mesurer la lumière.
Dans tous les cas, je suis conscient que c’est très difficile pour les photographes débutants, a fortiori s’ils sont timides, mais, mesdames et messieurs les photographes, s’il vous plaît, parlez ! Parlez au modèle ! Tout le temps, sans arrêt. Racontez-lui votre vie, la dernière blague de Toto, n’importe quoi mais parlez ! Vous allez mettre votre modèle à l’aise, vous allez instaurer la confiance, vous allez en tirer le meilleur. Rien n’est plus soporifique pour un modèle que de passer 3h00 à écouter the sound of silence. Elle va s’ennuyer, elle ne saura que faire et cela va se voir sur les photos ...
11° Le bon moment.
Une photo réussie, c’est une photo prise au bon moment. Le bon moment, lorsqu’il s’agit d’une photo de mode, d’un portrait ou d’un nu, c’est une photo qui est prise lorsque la pose est conforme ou supérieure à nos attentes, lorsque l’expression du modèle est présente ou encore mieux que ce que nous espérions obtenir dans nos rêves les plus fous. C’est clair que si vous prenez la photo au moment où elle ramasse son chapeau qui vient de tomber malencontreusement, il est probable que la photo trouve sa vraie place dans la poubelle …
APRES LE SHOOTING (3ème étape).
12° Le choix.
Le shooting est terminé, les photos ont été faites. Il faut maintenant faire une sélection, ne prendre que les meilleures. J’entends souvent dire que si l’on a 3 ou 4 bonnes photos lors d’un shooting, on peut être content. Je trouve cela ridicule. Cela dépend d’un tas de choses. Il y a des shootings qui sont plus heureux que d’autres. Il m’arrive parfois et même souvent de sélectionner 50, 100, 200, 300 photos parce que le shooting a été exceptionnel. Et elles sont toutes bonnes ou presque. Parfois, par contre, il y a des shootings nettement moins inspirés. J’en sélectionne quelques-unes mais je ne suis pas content de moi et aucune d’elles ne mérite, à vrai dire, une publication, si ce n’est sur mon papier WC. C’est comme cela. Il n’y a pas de règles, pas de quotas minimum ou maximum, cela dépend du shooting. Il faut choisir.
13° Le traitement.
C’est un débat qui revient sans cesse sur le devant de la scène photographique. « Une photo, c’est la capture d’un instant, je ne vois pas pourquoi il faudrait les traiter après le shooting ». Bla-bla-bla. Ce sont, comme par hasard, le plus souvent les photographes qui n’ont pas les moyens financiers de s’offrir un logiciel de traitement qui tiennent ce genre de discours … Le traitement fait partie du processus de création artistique au même titre que les dernières retouches de couleur du peintre qui veut faire ressortir la lumière de son tableau, lui donner plus de volume. Faire de la photographie ne se limite pas à cliquer sur le bouton de son appareil pour prendre la photo. Cette photo peut être travaillée, améliorée, modifiée, remodelée, transformée : l’artiste, c’est celui qui prend la photo, ce n’est pas vous. C’est lui qui décide, ce sont ses choix. C’est lui qui crée sa photo, il en fait ce que bon lui semble, il la traite comme il l’entend. La tyrannie de la photo qui doit rester brute n’a pas de sens, elle ne respecte pas les choix du photographe, elle revient à lui dire qu’il ne peut pas créer sa photo comme il le souhaite. Que chacun fasse donc ce que bon lui semble !
Après, il y a des traitements qui sont plus judicieux que d’autres, plus adaptés à telle photo qu’à telle autre, plus audacieux, plus originaux, plus inattendus. C’est le choix du photographe. On aime ou on n’aime pas mais il mérite le respect.
CONCLUSION
Si certains de ces ingrédients sont présents, il y a de fortes chances que la photo soit réussie. Si tous ces ingrédients sont réunis, la photo sera sans nul doute extraordinaire, à la mesure du talent des personnes qui auront participé au processus photographique. Vous nous offrirez ainsi une belle découverte culinaire dans un restaurant trois étoiles plutôt qu’un passage au drive-in du McDo du coin. Votre photo suscitera des réactions, de l’émotion, elle ne laissera pas les gens indifférents. Elle racontera peut-être une histoire et cette histoire sera différente pour chacune des personnes qui regardera votre photo. Celle-ci ne doit pas obligatoirement être belle, il y a des sujets qui ne s’y prêtent pas, il suffit de jeter un coup d’oeil sur les reportages de guerre. Oui, votre photo sera réussie si l’on y retrouve tous ces ingrédients. Il n’y a plus qu’à … mais, rassurez-vous car, au final, les seules photos réellement ratées sont celles que vous n’avez pas prises ;-)
